Quelles sont les alternatives à la voiture dans les zones périphériques ou rurales ?
André Broto ancien Directeur de la stratégie et de la prospective chez Vinci Autoroutes se dit « retraité actif » sur les sujets transports et mobilité. Il a récemment publié aux éditions Eyrolles un ouvrage intitulé « Transports : les oubliés de la République ».
Qui sont ces habitants et travailleurs qui ont été oublié des politiques de mobilités et quelles sont les solutions qu’il propose pour rendre leur mobilité plus accessible et durable ?
Qui sont les « oubliés de la république » que vous évoquez dans votre ouvrage ? Quelles difficultés rencontrent-ils ?
Les oubliés de la République viennent de besoins de mobilité qui n’ont pas été pris en compte par les politiques publiques. Pour comprendre les enjeux auxquels ils sont confrontés, il faut partir des kilomètres parcourus. Traditionnellement, on distingue deux types de distances parcourues : les voyages, et les déplacements du quotidien. Après la deuxième guerre mondiale est apparue au sein des déplacements du quotidien une catégorie qui est devenue prépondérante mais qu’on n’a pas vraiment prise en compte, il s’agit des déplacements du quotidien les plus longs.
Les systèmes de transports du quotidien qui ont été conçus à cette époque ont été réalisés au profit de personnes ne réalisant que quelques kilomètres. Dans le même temps, les services essentiels se sont vus concentrés dans les villes et est apparue une déconnexion importante entre le lieu du travail et celui du domicile. Aujourd’hui, 2 actifs sur 3 travaillent dans une commune différente de celle dans laquelle ils vivent. Cela représente 17 millions de personnes, et si l’on prend en compte les personnes se déplaçant pour accéder aux services essentiels, on arrive à un total de 50 millions de déplacements du quotidien de plus de 10 kilomètres chaque jour !
- 2 actifs
sur 3 travaillent dans une commune différente de celle dans laquelle ils vivent
- 50 millions
de déplacements du quotidien de plus de 10 kilomètres chaque jour
Les oubliés de la République sont donc ceux qui, au sein de ces 50 millions de déplacements du quotidien, doivent faire 20, 30, 40 kilomètres sans avoir la chance de pouvoir bénéficier d’un système de transport efficace et alternatif à la voiture. Il s’agit des habitants du monde rural, des périphéries mais aussi des petites villes et des villes moyennes. Leurs lieux d’habitation sont représentés en marron sur cette carte [1] et on constate qu’ils sont concentrés en périphérie des métropoles. Ces personnes parcourent en moyenne environ 40 kilomètres pour aller travailler, soit 80 par jour, et avec l’augmentation du prix du carburant et l’entrée en vigueur des ZFE, il est urgent de prendre en compte leurs besoins.
Comment expliquez-vous le fait que ces personnes aient été oubliées par les politiques de mobilité ?
Pour répondre à cette question, il faudrait faire appel aux sciences sociales. Après la seconde guerre mondiale, un certain nombre de ménages se sont installés en dehors des villes. Dans le budget global de ces ménages, le coût des déplacements a certes augmenté, mais un certain équilibre s’est mis en place du fait de l’arrivée des véhicules diesel et du prix abordable de leurs logements, en comparaison de ceux des métropoles. À partir des années 2000, les choses ont changé, ces personnes se sont retrouvées victimes de politiques hostiles aux déplacements routiers (augmentation des coûts du gazole et des contraintes liées à la vitesse, fréquence des contrôles techniques…) tandis que progressivement, le prix des transports publics a quant à lui diminué.
Ce qui est frappant, c’est que la prise de conscience de ce phénomène a été beaucoup plus rapide sur les autres continents. Dans de nombreux pays des deux Amériques ou de l’Asie, un important travail a été réalisé sur l’enchainement fluide des modes routiers en proposant des lignes de cars express, des parcs relais et des voies réservées. Cette pratique est encore très peu développée en Europe et, en particulier en France.
Quelles solutions préconisez-vous ?
Il n’y a pas de solution miracle, il faudra faire feu de tout bois. Une des solutions concerne évidemment l’accélération du déploiement du véhicule électrique, en parallèle de l’augmentation du nombre de bornes. Mais elle ne règlera que 75% du problème, au mieux. Parmi les travailleurs essentiels, beaucoup ne vont par ailleurs pas pouvoir s’acheter un véhicule électrique, et il y a un problème important de calendrier du fait de l’envolée des coûts du carburant et de l’arrivée des ZFE que les chèques carburant et les aides à l’achat de véhicules électriques ne pourront pas régler de manière durable.
À court terme, il faudrait commencer par déployer massivement des parkings relais aux entrées des autoroutes, mais aussi des voies express, et mettre en place des lignes d’autocars express allant vers les métropoles. Ce sont des solutions qui peuvent être envisagées rapidement : l’autoroute est déjà là et elle a l’avantage d’être financée et bien entretenue. C’est l’urgence qu’il faut selon moi traiter dans les deux ou trois prochaines années pour offrir un plan B aux oubliés de la républiques qui n’ont pas les moyens de s’acheter un véhicule électrique.
Augmenter le nombre de parkings dédiés aux vélos, le nombre de TER et déployer massivement le covoiturage font également partie des solutions complémentaires à envisager. À terme, il pourra enfin être intéressant d’envisager à nouveau la taxe carbone et le péage urbain, mais l’acceptabilité sociale n’est pas encore acquise. La priorité, c’est donc d’offrir un plan B aux personnes exclues des transports en commun.
La décarbonation des mobilités ne risque-t-elle pas d’accroître un peu plus la pression subie par ces personnes et, plus largement, les personnes en situation de précarité ?
J’ai eu l’occasion de participer en 2018 à un appel à idées relatif aux routes du futur du Grand Paris qui s’adressait à des architectes urbanistes et que l’on a appelé « New Deal ». Il visait à imaginer le futur des voies rapides de la région parisienne à horizon 2050. Durant nos échanges, nous nous sommes aperçus que les solutions proposées étaient nombreuses mais que finalement, ce qui comptait n’était pas la cible mais le chemin, et donc, qu’il fallait avant tout classer les différents leviers d’action en fonction de leur degré d’acceptabilité sociale ou de maturité technologique.
Nous avons donc envisagé trois étapes allant des leviers les plus matures et acceptables à ceux qui le sont moins. Une première étape d’ « inclusion sociale » visait à développer des centaines de lignes de cars express et des parkings dédiés aux vélos au sein des gares Transilien et RER. À partir du moment où cette étape était mise en service, on se rendait compte qu’il y avait une telle réduction de trafic sur les autoroutes que l’on pouvait envisager d’aménager des voies réservées. La deuxième étape consistait donc à rendre le transport public plus désirable pour les usagers qui ont le choix entre ce dernier et la voiture individuelle. En troisième étape arrivaient enfin le péage urbain ou le véhicule autonome.
Donc pour répondre à votre question, je dirais qu’il faut d’abord traiter l’inclusion sociale et que si l’on veut réussir la transition écologique, il faut embarquer toute la Nation. Si la reconstruction d’après-guerre a été réussie, c’est parce que la France entière avait la volonté de reconstruire. Pour le changement climatique, l’idée est un peu la même, il ne faudra laisser personne sur le bord de la route et cela commence par l’inclusion sociale.