Quels enjeux autour des zones à faibles émissions ?
La mise en place progressive des zones à faibles émissions (ZFE) pose un certain nombre de problèmes de pertinence écologique mais aussi, et surtout, sociale. Le point avec Jean Coldefy, Directeur du programme Mobilités et Transitions d’ATEC ITS et auteur de l’ouvrage « Mobilités, changer de modèle : Solutions pour des déplacements bas-carbone et équitables ».
En quoi le dispositif des ZFE présente-t-il des limites ?
Les limites sont bien connues. Les ZFE consistent en un dispositif d’interdiction de circulation à un certain nombre de véhicules, essentiellement anciens et pour des raisons dites sanitaires puisque l’on estime qu’il y a un nombre important de morts prématurés lié à la pollution atmosphérique.
La première limite est relative au fondement de la décision de mise en œuvre du dispositif, qui a été établi sur des bases erronées ou excessives. La fameuse étude de Santé Publique France de 2016 conclut à un nombre de 48000 morts liés à la pollution atmosphérique par les particules. Cette étude pose cependant d’importants problèmes de méthodologie : elle est basée sur un modèle, et l’on sait qu’il faut être prudent avec les valeurs absolues des modèles, elle compare la qualité de l’air des communes de montagne avec celle des villes, elle conclut à une variabilité très importante des morts prématurées : de 11 morts avec la norme sanitaire de l’UE, de 17 000 à 74 000 avec la norme de l’OMS qui est celle des communes de montagne. Elle n’a en outre été relue que par une seule personne et n’est donc pas une étude scientifique c’est-à-dire avec des relecteurs académiques indépendants et pluriels.
Alphonse Allais écrivait « on devrait construire les villes dans les campagnes, l’air y est plus pur » : la valeur cible de l’OMS est clairement excessive. Cette étude entre également en contradiction avec les statistiques de l’INSERM relatifs aux morts prématurées et qui indiquent que ces derniers ne se rencontrent pas près des axes routiers. S’il est évident que les gaz rejetés par les activités humaines ne sont pas bons pour la santé, on ne peut pas quantifier le nombre de morts de manière précise et affirmer à tort, et surtout à travers, que la voiture en serait le principal responsable ce d’autant plus que la voiture n’est responsable que de 10% des particules [1] . On agit par l’émotion et par la peur et émotion n’est pas raison.
Il est certain qu’un air pur participe à une bonne santé mais la réalité scientifique c’est qu’on ne peut pas sortir des chiffres comme ceux-là, à plus forte raison quand on sait que depuis 1995 la quantité des polluants des véhicules a été divisée par 3 [2] et que certains polluants ont complètement disparu. L’air n’a jamais été aussi pur dans nos villes et cela grâce à la mise en œuvre de la politique européenne sur les normes Euro et sans doute hélas avec la désindustrialisation. Les acteurs de l’automobile ont fait beaucoup de chemin.
La voiture n’est par ailleurs responsable qu’à hauteur de 10% des émissions de particules et jusqu’à 20% si l’on considère les poids lourds. 50% des émissions de particules sont liées aux systèmes de chauffage des logements et des bureaux. Pourquoi ne prenons-nous pas une mesure visant à interdire les poêles à bois ou obligeant à rénover les systèmes de chauffage. Je pense que derrière les ZFE, l’objet qui est visé est la voiture, et que tout cela est accentué par un emballement médiatique construit sur des raccourcis saisissants (particules = voitures) qui ne sont pas scientifiques.
La deuxième limite est qu’il s’agit d’une mesure injuste socialement. En France, on adore les mesures d’interdiction puisqu’elles placent le pouvoir politique au centre : l’interdiction cela signifie « je vous protège ». Le problème, c’est que les véhicules les plus polluants sont souvent les plus anciens et qu’ils sont possédés par les personnes des premiers déciles de revenus. Or au travers de la mise en place des ZFE, on demande à ces personnes de passer à des standards de catégories de véhicules des derniers déciles de revenus.
Très concrètement, on leur demande de ne plus circuler ou alors de consacrer un an et demi de leur salaire à l’achat d’une petite voiture qui leur permettra de parcourir 200 kilomètres au maximum. C’est complètement déraisonnable, mais comme on ne veut pas revenir sur cette erreur, de nombreuses exemptions vont être finalement mises en œuvre, sources de couts d’administrations importants, alors qu’il conviendrait de décaler le planning de déploiement de ce projet. Le problème c’est le rythme imposé alors qu’il n’y a pas d’alternatives pour se déplacer.
Par ailleurs, il y a fort à parier que l’impact de cette mesure soit faible, les émissions de particules étant peu concernées par le trafic des voitures. On met donc en place des subventions très importantes à l’achat de véhicules neufs [3] pour des effets qui seront très limités. Alors même que l’on veut lutter contre la voiture – et à raison puisqu’elle occupe en ville trop d’espace public – finalement on débloque des fonds publics pour financer l’achat de véhicules neufs.
C’est donc une mesure injuste socialement, assez inefficace sur le plan sanitaire, extrêmement coûteuse pour les fonds publics et qui amène en plus les politiques à financer l’industrie automobile qui doit être assez ravie de la mesure puisque cela permet de renouveler le parc plus rapidement ou augmenter leurs marges comme on le voit actuellement avec la pénurie de véhicules. Est-ce vraiment le but recherché ? On n’est pas obligé de choisir des mesures inefficaces, coûteuses et qui vont à l’encontre d’autres politiques publiques et pourtant c’est ce que l’on fait.
“On agit par l’émotion et par la peur et émotion n’est pas raison.”
Comment d’après vous concilier décarbonation des mobilités et équité ?
Une des mesures que l’on aurait dû prendre selon moi est la mise en place de « péages urbains lights » pour financer un programme d’alternatives à la voiture et tarifer les externalités négatives de la voiture. Très concrètement il s’agirait de tarifer l’usage de la voiture dans les grandes agglomérations de 1 à 2 € par jour les jours ouvrés, hors vacances avec des exemptions pour les premiers déciles de revenus, ce qui est socialement plus juste.
Cette mesure permettrait également de dégager de financer une politique foncière permettant à toutes les bourses d’habiter en ville par exemple.
Dans les pays scandinaves, ce type d’initiative est largement déployé et accepté. Une part importante des fonds récoltés par les péages est allouée à des programmes d’infrastructures de transport. Oslo agglomération de 1.4 millions d’habitants dégage 200 millions d’euros par an pour financer ses transports publics, ce depuis plus de 30 ans. Le problème, c’est qu’en France nous avons la croyance que le prix est socialement injuste. Les interdictions le sont parfois bien plus : Les ZFE le démontrent amplement.
Enfin, d’un point de vue de la géographie des émissions liées à la voiture l’essentiel provient des trajets pendulaires entre le périurbain et les agglomérations. Ce sont donc ces trajets qu’il faut adresser en priorité puisqu’ils sont longs et représentent beaucoup de kilomètres. Ils sont responsables de l’encombrement du trafic dans les centres-villes et de l’essentiel des émissions de gaz à effet de serre dans les aires urbaines.
Pourtant, l’offre de transports en commun proposée à ce type de déplacements en France est trois à quatre fois inférieure à la demande puisque le système des TER n’a pas du tout accompagné le développement des villes et la polarisation des emplois. Il faut donc accélérer les projets de transport en commun et une fois qu’il y aura des alternatives, alors on pourra mettre de la contrainte sur l’usage de la voiture. Faudra-t-il le faire par le rail ou par la route ? C’est le débat de l’efficience de l’argent public, qui mériterait une autre tribune.