La route, vecteur d’énergie : les systèmes de routes électriques
Complémentaires aux bornes de recharge, les systèmes de routes électriques ou ERS (Electric Road Systems) présentent un certain nombre d’avantages. En quoi consistent-elles et quelle est leur place dans la décarbonation de la route ?
Le point avec Pierre Delaigue, Directeur des mobilités électriques, connectées et autonomes chez Vinci.
Quels sont les différents types de routes électriques et comment fonctionnent-ils ?
Il existe trois familles de technologies.
La première est une solution conductrice par caténaire. Issue du ferroviaire, elle consiste à charger des poids-lourds équipés de pantographes qui viennent frotter une ligne de caténaires alimentée par un réseau de distribution électrique. C’est une technologie de contact.
Au sol, peuvent également exister des rails conducteurs intégrés et affleurant à la chaussée. Du côté des véhicules, des récepteurs, qui peuvent prendre la forme de frotteurs ou de patins, s’abaissent sous le véhicule et viennent alors collecter l’électricité. Il s’agit également d’une technologie de contact.
La troisième famille de technologie c’est l’induction. Des bobines sont intégrées sous la bande de roulement de la chaussée et émettent de l’énergie électromagnétique. En parallèle, des bobines secondaires intégrées sous les véhicules viennent capter cette énergie. Il s’agit donc d’une charge sans contact physique ou wireless, car il n’y a pas de contact entre les deux.
Quels sont leurs avantages en comparaison des bornes de recharge ?
Ce n’est pas l’un ou l’autre, il y aura des bornes statiques mais également des systèmes de routes électriques, les deux technologies pourront tout à fait coexister. Les ERS présentent en tout cas un certain nombre d’avantages non négligeables.
Pour commencer, du point de vue de la connexion au réseau électrique puisqu’au lieu d’avoir un chargeur concentrant une très forte puissance localisée, les systèmes de routes électriques pourront permettre de distribuer la même puissance sur un linéaire plus grand.
Cette technologie présente également des bénéfices opérationnels pour les transporteurs. D’une part, en leur permettant de limiter le temps d’immobilisation de leurs poids-lourds. Ils peuvent alors s’arrêter pour la pause réglementaire mais ne pas perdre de temps à recharger leurs véhicules.
D’autre part, en augmentant leur capacité d’emport. L’objectif de la route électrique est en effet d’arriver à construire des véhicules avec le moins de batteries possibles, et donc de réduire le poids des véhicules. La route électrique permet de réduire d’un facteur 3 à 4 la quantité de batteries des véhicules et donc de les alléger. Ce faisant, elle améliore aussi leur consommation.
Les systèmes de routes électriques présentent également des bénéfices environnementaux. Le fait d’avoir une batterie plus petite permet de réduire l’empreinte environnementale du véhicule mais également ses besoins en matières premières comme le lithium, le cobalt ou encore le nickel utilisés pour les batteries et dont les stocks sont déjà sous tension.
Enfin, un tiers du coût d’un véhicule électrique est généré par le coût de sa batterie. Ainsi, en réduisant considérablement la taille de la batterie du véhicule, la route électrique permet de rendre plus abordable la mobilité électrique.
Présentent-elles des inconvénients ? Leur empreinte environnementale globale est-elle réellement intéressante ?
C’est une bonne question, construire des routes électriques occasionne forcément un besoin en matériaux. Pour autant, les bénéfices en termes de réduction de CO2 et de besoins en matières premières des routes électriques sont largement supérieurs aux besoins occasionnés par la construction des infrastructures.
Par exemple, bien que la solution inductive nécessite d’importants besoins en cuivre pour fabriquer les bobines, elle permet finalement, en réduisant la taille des batteries de véhicules et leur besoin en cuivre, d’occasionner des gains du point de vue des besoins globaux en cuivre.
Donc que ce soit du point de vue des matériaux dont on a besoin ou même des émissions de CO2 résultant de l’installation des routes électriques, tout cela est largement compensé par ce que l’on gagne du côté des véhicules.
En existe-t-il déjà en France ? Où en sommes-nous ?
Il y a des projets sur les trois familles de technologies dans plusieurs pays du monde. En Europe ces projets sont déployés dans quatre pays essentiellement : la Suède, l’Allemagne, l’Italie et la France. Ils sont réalisés sur des sections assez réduites mais sont très prometteurs.
En France, le Ministère des Transports préconise le déploiement très ambitieux de 9 000 kilomètres de routes électriques sur les 12 000 kilomètres d’autoroutes qui composent le territoire à horizon 2035. D’ici 2030, 5000 kilomètres devraient déjà être déployés puis 4000 autres d’ici 2035.
- 9000 kilomètres de routes électriques
sur les 12 000 kilomètres d’autoroutes qui composent le territoire à horizon 2035
Avez-vous des chiffres à nous communiquer sur le potentiel de décarbonation de la route électrique ?
Deux chiffres sont assez marquants, ils concernent l’électrification des poids-lourds.
En premier lieu il faut savoir que si l’on déployait massivement les 9 000 kilomètres de routes électriques, le potentiel de décarbonation du parc de camion diesel que l’on connaît aujourd’hui serait de 86%.
Le potentiel de décarbonation de la route électrique, rendu possible par la réduction de la taille des batteries, est également de l’ordre de 64% par rapport à un parc de poids-lourds équipé de grosses batteries.
Certains principes physiques sont incontournables. L’électricité se transporte bien mais se stocke beaucoup moins bien dans des batteries, la route électrique répond donc bien à ces principes en acheminant l’électricité au point de consommation.
L’essence et le diesel ont par ailleurs une densité énergétique extrêmement élevée permettant au véhicule d’adopter la technique de l’escargot en emportant toute son énergie avec lui.
Ce principe ne fonctionne pas avec l’électricité, la densité d’une batterie électrique est quarante fois inférieure à celle du diesel, et ce malgré les améliorations continues réalisées sur les batteries.
Apporter son énergie avec soi pour la mobilité électrique ne fonctionne donc pas avec des grosses batteries. Il ne faut pas dupliquer les schémas de pensée du passé, une batterie ne sera jamais aussi dense que du diesel ou de l’essence.