Quelles clefs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur routier ?
Aurélien Bigo a soutenu une thèse intitulée « Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement ».
Désormais chercheur sur la transition énergétique des transports, il nous donne les clefs pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur routier.
Au niveau mondial 15% des émissions directes de gaz à effet sont liées aux transports. À l’échelle de la France cette part est plutôt de l’ordre de 30%, comment expliquer cet écart ?
D’abord, et de façon générale, la proportion des émissions liées au transport est plus importante dans les pays les plus développés. Les transports motorisés, la voiture, l’avion, les poids-lourds etc. sont des moyens de transports qui y sont beaucoup plus utilisés que dans les pays en voie développement où la part de la marche, du vélo ou même des transports en commun est plus conséquente. Ces pays ont des pratiques de mobilité qui sont similaires à celles que l’on avait en France avant la croissance forte de l’automobile de la seconde moitié du vingtième siècle.
Ensuite, parmi les pays développés, la France a aussi une part des transports qui est plus élevée en comparaison d’autres pays du fait de son mix de production d’électricité qui est assez largement décarboné, et cela fait remonter la part des autres secteurs, dont la part des transports dans le total des émissions.
La circulation routière représentait 27% des émissions de gaz à effet de serre en 2021 en France. Quelles sont selon vous les clefs pour décarboner la route à court terme et de façon durable ?
Cinq leviers sont cités dans la Stratégie Nationale Bas Carbone.
Le premier concerne la modération de la demande de transport. L’augmentation des kilomètres parcourus a été le principal facteur d’accroissement des émissions de CO2 du secteur ces dernières décennies. L’arrivée de l’automobile, corrélée à un aménagement dispersé du territoire, ont concouru à augmenter les distances parcourues quotidiennement. En parallèle, les voyages longues distances ont augmenté aussi. Ce premier levier vise ainsi à recréer un aménagement du territoire qui va dans le sens de modes de vie plus en proximité, mais aussi, à retrouver un tourisme qui soit plus local en évitant l’avion notamment. Du côté des marchandises, ce levier interroge davantage des dynamiques de relocalisation ou de sobriété dans l’économie.
Le second levier est relatif au report modal, il est applicable aux voyageurs mais aussi aux marchandises. Son objectif est de faire en sorte que les voyageurs utilisent davantage les transports en communs, le vélo ou encore la marche par exemple pour leurs déplacements du quotidien, plutôt que la voiture ou l’avion. Pour le transport de marchandises il s’agit davantage d’un report de la route vers le ferroviaire ou le fluvial.
Le troisième levier consiste à améliorer le taux de remplissage des véhicules : le covoiturage a un potentiel assez important pour les voyageurs, mais du côté du transport de marchandises, il y a moins de marges de manœuvre et des risques d’effets rebond.
Le quatrième levier vise à améliorer l’efficacité énergétique des véhicules. Cela implique à la fois des moyens technologiques mais aussi de de sobriété. Pour les premiers, l’idée est de continuer à améliorer le rendement des moteurs thermiques et de passer à des véhicules qui sont davantage électrifiés. Pour le second, la réduction du poids des véhicules, de la vitesse sur les routes ou l’écoconduite, permettent d’y participer.
Le cinquième et dernier levier est relatif à la décarbonation de l’énergie. Il vise à substituer le pétrole à d’autres carburants ou vecteurs énergétiques comme l’électrique, l’hydrogène, le biogaz ou encore les agrocarburants, à condition toutefois qu’ils soient produits de façon décarbonée et ce n’est pas toujours le cas aujourd’hui.
La voiture électrique est souvent présentée comme la solution principale pour décarboner la route, quel est votre avis sur le sujet ?
La voiture électrique est plus favorable que la voiture thermique. Son impact carbone en analyse du cycle de vie est en moyenne à peu près 3 fois moins important en France. Pour autant, elle est trop souvent pensée et présentée comme la solution miracle qui nous permettrait de ne pas remettre en question nos pratiques de mobilité, et elle ne répond pas à l’ensemble des enjeux ou des externalités liés à la mobilité en voiture.
Les voitures électriques développées aujourd’hui cherchent à calquer les voitures thermiques telles qu’on les connaît et qui sont très largement surdimensionnées pour l’immense majorité de nos usages du quotidien (en nombre de places, en poids, en puissance et vitesse maximale, en autonomie pour l’électrique, etc.). Or il y a tout un tas de véhicules intermédiaires entre le vélo et la voiture à développer à l’avenir. Plus légers, ces derniers sont suffisants pour une grande partie des usages et ont l’avantage d’être moins coûteux et donc plus faciles à diffuser.
Ils peuvent par ailleurs avoir des caractéristiques proches de celles de la voiture, notamment du point de vue du confort, de la protection des intempéries, de l’effort ou même de l’emport de charge, et peuvent être utilisés par des profils de personnes plus larges que celles qui utilisent le vélo classique aujourd’hui.
Ainsi, explorer ces véhicules est un moyen de tendre vers des mobilités qui sont plus sobres, en termes de consommation d’énergie, de matières, et d’émissions de gaz à effet de serre. Ils ont également l’avantage d’avoir moins d’impact sur les autres externalités liées aux transports comme la consommation d’espace, la pollution sonore, l’accidentologie (ils sont moins dangereux pour les autres usagers de la route) et, pour les modes actifs, ont des effets bénéfiques très significatifs pour la santé.
Et du côté du transport routier de marchandises, quelles sont les principales solutions ?
L’électrique n’est pas forcément adapté à des véhicules plus lourds ou réalisant des distances importantes. Les contraintes liées à la batterie ou à l’autonomie font que d’autres vecteurs énergétiques comme l’hydrogène, le biogaz ou les agrocarburants peuvent présenter un intérêt à l’avenir pour participer à la décarbonation du transport routier de marchandises.
La transition énergétique est par ailleurs plus lente pour ce secteur. La diffusion de nouvelles technologies peut prendre du temps et il y a encore un flou du côté des motorisations qui vont s’imposer pour les poids lourds. Ajouté à cela, il y a aussi une problématique de coût puisque ces technologies sont plus chères que celles liées au pétrole même si les crises énergétiques peuvent rebattre un peu les cartes.
Enfin, il y a aussi une question de disponibilités et de gisements en termes de ressources décarbonées, et des concurrences peuvent avoir lieu entre secteurs, et entre différents modes à l’intérieur du secteur des transports.
Quel rôle les infrastructures ont-elles à jouer ?
Si l’on veut aligner l’évolution des infrastructures routières sur les enjeux de décarbonation, il faut réussir à faire en sorte qu’elles soutiennent des usages plus cohérents avec les 5 leviers de décarbonation. Ce soutien passe d’abord par le déploiement d’infrastructures aménagées en faveur du report modal ou des nouvelles mobilités comme la mobilité électrique par exemple.
Il peut aussi se traduire par la limitation des nouvelles constructions. Il y a des types d’infrastructures qu’il va falloir de plus en plus éviter, comme la construction de nouvelles autoroutes ou les projets de contournement routier par exemple. Limiter les infrastructures nouvelles qui favorisent l’étalement urbain est également important.
En dehors de ces exemples, il y aussi un enjeu de transformation des infrastructures actuelles au profit d’usages plus sobres et d’une mobilité plus vertueuse. C’est le cas des voies dédiées au covoiturage ou aux transports en commun, mais aussi aux vélos ou aux véhicules intermédiaires pour que leurs usagers s’y sentent en sécurité. La transformation de l’espace urbain est également importante pour redonner plus de place à modes de transport les plus sobres, à la végétalisation des villes ou à certaines activités.
Pensez-vous réellement que le rythme actuel de la transition soit suffisant pour aller dans le sens d’une décarbonation durable de la route et, plus largement, des mobilités ?
On peut avoir une impression de tendances qui vont dans des sens différents. D’un côté les évolutions vont beaucoup trop lentement par rapport aux objectifs climatiques que l’on s’est fixés, et parfois même dans le mauvais sens si l’on songe à la croissance du transport aérien ou à la construction d’infrastructures qui soutiennent des usages carbonés. Et, dans le même temps, on se retrouve face à une question d’acceptabilité de la transition qui peut être perçue comme trop rapide par certains secteurs, comme celui des constructeurs automobiles par exemple. Il y a donc un enjeu de transformation qui est très fort à court terme et qui peut amener beaucoup de tensions pour cette transition. Pour rattraper le retard actuel, il faut plus systématiquement et plus fortement agir sur les 5 leviers de décarbonation, et pour le moment de nombreux choix (d’infrastructures, de fiscalité, de soutien aux entreprises, d’accompagnement des ménages, etc.) ne sont pas alignés avec ces enjeux.