Le futur de la mobilité peut-il être 100% électrique ?
La mobilité électrique est souvent présentée comme la principale solution de décarbonation des mobilités routières. D’après Thierry Archambault, président de l’Union routière de France (URF), elle présente pourtant des limites qu’il est important de considérer. Laisser davantage de place à la neutralité technologique est selon lui primordial, au même titre qu’une meilleure anticipation et gestion de l’impact social de cette transition.
Quels sont les freins à l’application du modèle de l’électromobilité à tous les secteurs de la route ?
Un premier frein, qui a été signalé à plusieurs reprises par Carlos Tavares, porte sur la méthode. Il aurait en effet mieux valu commencer par travailler à décarboner l’énergie pour ensuite pouvoir créer des infrastructures permettant d’utiliser cette énergie et enfin lancer un produit lui-même décarboné. Or nous avons fait l’inverse. Nous lançons des produits, nous courrons après les infrastructures et nous disposons d’une énergie qui n’est finalement pas décarbonée et ne le sera pas avant une bonne vingtaine d’années.
Un deuxième élément s’inscrit dans ce constat, celui des bornes de recharge. Cette question est maintenant très largement partagée par tous et pendante dans l’immédiat puisque l’administration s’en est largement fait l’écho. Il est en effet régulièrement pointé du doigt le fait qu’un important retard a été pris dans l’équipement en bornes de recharge, et ce retard est encore plus net s’agissant des poids-lourds.
Un deuxième frein me paraît également important. Je partage l’idée selon laquelle le principe que la mobilité doit être 100% électrique n’est pas quelque chose d’évident en soi. La neutralité technologique me paraît primordiale et je pense qu’il faut permettre à la R&D de trouver d’autres solutions, puisqu’il y a des cas d’usages où l’électromobilité n’est pas forcément la plus pertinente.
Quels sont les inconvénients de la mobilité électrique ?
Un premier point me paraît devoir être signalé. Gardons-nous bien de mentir aux usagers. L’idée par exemple selon laquelle un véhicule électrique coûte beaucoup moins cher que son pendant équipé d’un moteur thermique n’est pas forcément vraie.
Il vaudrait mieux dire les choses telles qu’elles se présentent et telles qu’on pense qu’elles se présenteront dans les cinq à dix ans à venir. Aujourd’hui, fabriquer une voiture électrique représente un coût supplémentaire d’environ 40% par rapport à la fabrication d’une voiture thermique, ce surcoût se répercutera, d’une manière ou d’une autre, sur les clients. Qu’en sera-t-il par ailleurs du coût et des taxes sur l’électricité ?
Un second point, en passe d’être réglé, est quant à lui relatif à l’autonomie et à la liberté d’itinérance. Le modèle électrique est encore à l’épreuve, il doit être rodé. Pour l’instant, l’électromobilité n’est pas opérationnelle sur de la longue distance.
Un troisième élément me paraît aussi devoir être clarifié. On laisse entendre aux citoyens que les voitures électriques ne polluent pas, ce n’est pas exact. Tout dépend de la façon dont est produite l’électricité qu’elles consomment et tout dépend également de la façon dont sont fabriqués les véhicules. L’impact environnemental d’un véhicule doit être mesuré sur l’ensemble de son cycle de vie, c’est-à-dire du « berceau au tombeau ».
Quelles autres solutions présentent à vos yeux un intérêt pour la décarbonation du secteur routier ?
D’autres solutions sont à l’étude. L’hydrogène par exemple présente un intérêt, qu’il soit exploité au travers de la pile à combustible ou sous une forme liquide brulée dans un moteur classique. Les e-fuels pourraient également être intéressants.
Il faut laisser les ingénieurs étudier ces différentes alternatives pour leur permettre d’éventuellement se tailler une place dans le panel de solutions proposées pour décarboner les mobilités routières.
Je pense qu’il faut remettre la science au cœur du sujet. Ce n’est pas quelque chose d’anodin que de repenser toute la mobilité des marchandises et des personnes, cela doit se faire de manière la plus objective possible, la plus réfléchie possible et évidemment en s’appuyant sur les capacités scientifiques de nos ingénieurs.
“Je pense qu’il faut remettre la science au cœur du sujet.”
Avez-vous des choses à ajouter sur ce sujet de la transition des mobilités ?
Il y a deux points sur lesquels j’aimerais que l’on puisse conclure. Au-delà de toutes les solutions et de toutes les formes de mobilité et d’encadrement que l’on peut envisager, il me paraît très important que chacun puisse garder une vraie liberté de choix de sa mobilité. Il faut que soit mise en place une organisation de la mobilité qui permette à chacun de garder une liberté de mouvement comme celle que l’on a connue jusqu’à présent.
Un deuxième point qu’il me paraît important de souligner et qui fait écho avec le premier est relatif à la gestion de la dimension sociale de cette transition des mobilités. Il ne faut absolument pas que l’on en revienne aux périodes pas si lointaines de notre histoire – la 2CV est lancée juste après la seconde guerre mondiale – où seuls des gens très aisés pouvaient se déplacer comme ils le souhaitaient et dans de bonnes conditions.
Lorsque l’on regarde le prix d’un véhicule électrique aujourd’hui, on peut s’interroger sur la question de savoir si les personnes à revenus plus modestes pourront continuer à se déplacer en voiture. La mise en place des zones à faibles émissions (ZFE) et des vignettes crit’air tend malheureusement à les exclure de certaines zones dans lesquelles ils ont besoin de se rendre pour leur travail ou tout simplement pour profiter de la vie.
Pour l’instant, j’ai le sentiment que nos politiques n’ont pas pris l’exacte mesure des moyens qu’il faut mettre en œuvre pour résoudre cette problématique. Cette transition écologique se fera, mais j’espère qu’elle se fera au bénéfice de chacun sans laisser personne au bord de la route.
“Cette transition écologique se fera, mais j’espère qu’elle se fera au bénéfice de chacun sans laisser personne au bord de la route.”