La décarbonation du transport de marchandises
Comment réussir à décarboner, d’ici 2050, le transport de marchandises ? Pour Jean-Marc Rivera, délégué général de OTRE (Organisation des transports routiers européens) beaucoup d’incertitudes subsistent encore et la question de la disponibilité de l’énergie est primordiale. Pour lui, il convient ainsi de donner davantage de lisibilité aux modalités de la transition énergétique du secteur. Il prône également une augmentation de l’intervention des pouvoirs publics et des donneurs d’ordre en faveur de l’optimisation des flux de transport.
Quels sont les leviers pour décarboner durablement et réalistement le transport routier de marchandises ?
Lorsque l’on s’inscrit dans une logique de décarbonation du transport de marchandises d’ici 2050, l’axe qui semble le plus logique est d’abord celui du verdissement des flottes.
Les transporteurs, au travers de la mise en œuvre des différentes normes euros[1], se sont d’abord orientés vers un rajeunissement de leurs flottes. Aujourd’hui, certains regardent également, et dès à présent, l’intérêt des énergies alternatives comme le biogaz ou les biocarburants.
Pour la suite cependant, il y a pour le moment un important manque de lisibilité sur ce que seraient capables de proposer les constructeurs et les énergéticiens jusqu’en 2050. La question qui se pose est celle de la disponibilité concomitante des véhicules et de l’énergie.
Il ne s’agit en effet pas seulement de savoir quels types de véhicules et quels types d’énergies vont être proposés. Il s’agit également de déterminer si l’énergie en question va être disponible ainsi que la façon dont elle va être distribuée. C’est là tout le sens des travaux qui ont débutés en 2021 et qui se poursuivent aujourd’hui avec la feuille de route « décarbonation du transport routier ».
La question du coût de l’acquisition des véhicules, mais aussi et surtout de l’énergie, est également complémentaire à ce sujet et éminemment centrale lorsque l’on considère le contexte de hausse des prix de l’énergie liée au conflit russo-ukrainien.
En second lieu, repenser l’organisation des flux de transports est également un axe important. Nous avons le sentiment que le verdissement des flottes est souvent perçu comme le seul axe permettant la décarbonation, or, l’optimisation des flux de transports est à notre sens incontournable dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre générées par le transport de marchandises.
Il s’agit là d’un axe qui n’est cependant pas totalement à la maîtrise des transporteurs qui représentent des exécutants au service de grands industriels et de donneurs d’ordre. C’est pourquoi, pour nous, il faut travailler avec ces donneurs d’ordre à repenser la logistique. C’est un axe fort que nous portons au travers d’une structure qui s’appelle France Logistique dont les organisations professionnelles du transport sont les membres fondateurs.
Un des points portés par cette organisation est de dire qu’il est important de relocaliser la logistique en France. Toutefois, alors que le parc logistique s’est fortement développé chez nos voisins européens, en France beaucoup de freins subsistent en matière de foncier ou de fiscalité. Nous pensons également qu’il est important de développer de la logistique de proximité pour réduire les distances de circulation et donc les émissions de gaz à effet de serre.
“La question qui se pose est celle de la disponibilité concomitante des véhicules et de l’énergie.”
Pensez-vous que le rythme actuel de déploiement des initiatives de décarbonation du secteur permettent, de façon réaliste, d’atteindre les objectifs de neutralité carbone ?
Si l’on considère le calendrier de mise en œuvre des Zones à Faibles Émissions (ZFE) mon avis est que son déploiement est totalement irréaliste. Du point de vue de l’objectif global européen de décarbonation à horizon 2050, mon propos est différent.
Ce qui nous interpelle n’est pas tellement l’objectif visé pour 2050 mais plutôt les conditions de sa planification. L’électricité et l’hydrogène sont très clairement mis en avant par la puissance publique et les constructeurs. Cependant, on constate pour le moment un décalage important entre la disponibilité des véhicules et la distribution de l’énergie.
Pour l’énergie électrique par exemple, il n’y a à ce jour aucun plan de développement relatif au déploiement de bornes de recharge puissantes et pouvant être en mesure de permettre une recharge rapide aux véhicules lourds en itinérance. Nous en sommes au début des travaux sur ce point. À nouveau, il risque donc d’y avoir un décalage entre la disponibilité des véhicules et la mise en œuvre d’un réseau de distribution dense d’électricité ou d’hydrogène.
Si l’on regarde du côté de la livraison urbaine, l’échéance la plus rapide est liée à l’arrivée des Zones à Faibles Émissions. L’installation des bornes de recharge dans les zones de livraison ou les zones logistiques est encore beaucoup trop lente : les objectifs visés pour 2025 représentent une goutte d’eau en comparaison des besoins si demain nous devions faire basculer en zone urbaine toute une flotte vers l’électrique.
Pour nous, d’autres énergies sont d’ores-et-déjà disponibles et présentent un intérêt si l’on veut, dans un premier temps, mettre en mouvement la volonté de sortir du carburant diesel. Des solutions intermédiaires sont possibles grâce à la filière gaz et les biocarburants et nous pensons qu’elles peuvent constituer une étape importante vers la transformation de nos flottes.
“Ce qui nous interpelle n’est pas tellement l’objectif visé pour 2050 mais plutôt les conditions de sa planification. ”