Comment rendre la logistique plus durable ?
Bien qu’implantées au niveau local, les activités logistiques sont porteuses d’enjeux d’ampleur extraterritoriale. Comment les rendre plus durables et coordonner leur transition ? Quel rôle les acteurs publics ont-ils à jouer ? Éléments de réponses avec Constance Maréchal-Dereu, Directrice générale de France Logistique, une organisation portant la voix des acteurs privés de la chaine logistique auprès des acteurs publics.
Quels sont selon vous les principaux leviers pour réduire les émissions de gaz à effet de serre générées par les activités logistiques ?
Il faut savoir que la logistique comprend à la fois la partie « transport » mais aussi la partie « entreposage », c’est-à-dire qu’il faut considérer toute la chaîne logistique dans son ensemble, les maillons qui bougent et ceux qui ne bougent pas. Au sein de France Logistique, nous considérons qu’il y a 4 grands leviers pour réduire les émissions de CO2 des chaînes logistiques.
Le premier levier est relatif au travail sur les tonnes et donc, à la quantité de produits à transporter. Il relève peu des acteurs du transport et de la logistique mais plutôt des chargeurs et du consommateur. Il consiste principalement à agir sur la demande de produits à transporter.
Le second levier consiste à opérer un travail sur le nombre de kilomètres parcourus. En plus des choix des consommateurs ou des producteurs, il dépend pour les acteurs de la logistique, d’un travail relatif au maillage des différents points de passage des marchandises destiné à réduire les distances.
Le troisième levier vise quant à lui à mieux massifier et mutualiser, il est donc relatif au véhicule.km. Très concrètement, pour réduire les émissions générées par le transport de marchandises, il vaut mieux un gros camion bien rempli plutôt qu’une dizaine de camionnettes bien remplies aussi.
Le quatrième levier consiste enfin à travailler sur l’énergie et la motorisation des véhicules destinés au transport et donc sur le développement progressif de solutions alternatives au diesel fossile.
Quel rôle la puissance publique a-t-elle à jouer dans le verdissement des activités logistiques ?
Les acteurs privés sont désormais très favorables à une planification territoriale de la logistique, ce n’était pas le cas il y a une dizaine d’années.
Avant l’adoption de la loi Climat et Résilience, nous avions d’ailleurs proposé que certains documents de planification réalisés par les collectivités territoriales intègrent les enjeux logistiques. Cette proposition a été retenue par la loi et désormais le Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET) réalisé à l’échelle régionale comme le Schéma de cohérence territoriale (SCoT) réalisé à l’échelle intercommunale intègrent les enjeux logistiques.
Il doit en outre nécessairement y avoir une cohérence entre les différents échelons de la planification. Qu’il s’agisse en effet d’un bâtiment ou d’une voie routière, une activité n’est quasiment jamais à l’échelle de la commune ou de l’intercommunalité, elle est installée dans une ville mais l’échelle d’implantation et bien plus faible que l’intérêt du bâtiment qui souvent dépasse les limites territoriales.
Il faut aussi faire en sorte d’articuler les bâtiments et les infrastructures de transport. Si l’objectif par exemple est de développer le fer et le fleuve, il conviendra alors d’aider à construire des entrepôts à proximité des voies d’eau et des rails. De même, si l’on veut favoriser le remplissage des camions et faciliter la massification, il est important de faire en sorte que les plateformes logistiques soient construites dans une même zone et à proximité des autoroutes.
Nous sommes donc très favorables à cette planification. Il faut qu’elle se fasse à différentes échelles géographiques qui soient coordonnées et en veillant à bien articuler la planification des infrastructures de flux et de stock pour que toute l’activité soit globalement efficiente. En général dans notre secteur quand on est performant économiquement on l’est aussi écologiquement, car ce qui coute dans les deux cas, ce sont les kilomètres parcourus.
“En général dans notre secteur quand on est performant économiquement on l’est aussi écologiquement.”
Pourquoi d’après vous le report modal vers des modes fluviaux ou ferroviaires est encore si limité ?
Deux éléments sont à noter en préambule de ma réponse. D’une part les acteurs du transport routier sont pleinement favorables au développement du fer et du fleuve et d’autre part, même si l’on augmentait le report vers ces modes, la route resterait toujours majoritaire. Il ne faut donc pas opposer ces modes mais plutôt déterminer quel sera celui qui sera le plus efficace à emprunter en fonction du type de flux.
Les modes ferroviaires et fluviaux doivent répondre à des défis multiples. Les produits industriels ou très massifiés sont par exemple les plus adaptés à ce type de transport, mais malheureusement la France est un pays peu industriel. Par ailleurs, les ports – lieux de massification par excellence et donc de provenance/destination naturels des modes ferrés et fluviaux – français traitent des volumes très inférieurs à ceux de nombreux concurrents étrangers.
Le fluvial est une infrastructure prometteuse puisque les voies d’eau ne sont pas encore saturées en France. Le développement de ce mode se heurte cependant à une problématique de foncier. Si l’on veut faire venir des bateaux jusqu’en centre-ville il faut accepter que sur les quais, les lieux de promenade soient, en partie, transformés pour charger et décharger les bateaux.
Pour le ferroviaire, l’infrastructure est saturée et trop ancienne. La priorité politique et donc technique et en matière d’aides publiques est donnée au trafic de voyageurs la journée et aux travaux la nuit. Le transport de marchandises n’arrive qu’après. Il faut donc travailler à faire en sorte de faire circuler plus de trains de marchandises en France et ainsi répondre à une forte demande de la part des industriels, des chargeurs, des organisateurs de transport ou même des transporteurs routiers qui souhaitent se diversifier.
Quels sont les freins rencontrés par les acteurs de la logistique dans la décarbonation de leurs activités ?
Sur la partie demande beaucoup de choses relèvent du consommateur. C’est le cas lorsque l’on parle de e-commerce mais cela vaut aussi pour d’autres produits vendus physiquement. Dans certains magasins de centres-villes par exemple, on a tendance à augmenter le nombre de références tout en réduisant la surface de stockage, cela implique nécessairement une augmentation de la fréquence de livraison.
Sur la partie foncière, nous constatons qu’il y a de plus en plus d’exigences quant à l’utilisation du foncier en France. Ces exigences ne permettent pas toujours de faciliter une transition vers une logistique moins carbonée, qui peut supposer plus de mètres carré en France. Je l’ai évoqué précédemment.
Enfin, sur la partie transition énergétique de la route, le principal frein réside dans le fait qu’aucune technologie ne semble, à ce jour, tout à fait se distinguer pour le transport routier de marchandises, notamment lourd et longue distance. Chaque technologie a ses avantages mais aussi ses inconvénients.
La question des surcoûts engendrés par cette transition des activités logistiques se pose aussi. Les véhicules considérés comme propres sont – en tout cas à ce jour – plus onéreux, la question de savoir qui va payer ces surcoûts est primordiale.