Mobilité inclusive et décarbonation
La transformation des mobilités est confrontée à un double défi, la décarbonation est certes incontournable mais ne devra pas se faire au prix de l’augmentation des inégalités liées aux déplacements. Comment répondre à ces enjeux de façon exhaustive ?
Éléments de réponses avec Christine Allard, Directrice de la Communication et des Relations institutionnelles du groupe Sanef, concessionnaire des autoroutes de Normandie, des Hauts-de-France et du Grand-est.
Pensez-vous que l’objectif de décarbonation des mobilités risque d’accroître les inégalités liées à la mobilité ? La transition des mobilités peut-elle être juste et inclusive ?
C’est une très bonne question qui est corrélée au contexte dans lequel nous vivons qui est celui de l’inflation et de la hausse généralisée du prix de l’énergie et, par conséquent, d’une mobilité qui devient de plus en plus onéreuse.
Le groupe Sanef n’a cependant pas attendu de connaître cet épisode pour faire le constat que l’accès à la mobilité pouvait être un frein pour ceux qui sont éloignés de l’emploi. Cela fait donc 12 ans que nous travaillons avec des associations dans les territoires qui sont desservis par nos autoroutes pour exercer notre métier, dont l’ADN finalement est de faciliter la mobilité des gens. Depuis plusieurs années, nous avons décidé de concentrer nos soutiens à des initiatives de mobilité inclusive et travaillons avec des structures qui vont, par leurs actions en faveur des personnes éloignées de l’emploi, leur donner les moyens de se déplacer.
Tout cela s’est évidemment très fortement intensifié avec le contexte actuel d’urgence climatique et nous essayons d’adopter une approche globale en travaillant à la fois avec des structures qui favorisent la mobilité inclusive, mais aussi en poussant des initiatives décarbonées comme la mobilité électrique ou le covoiturage.
Quand on est une société d’autoroute, ce n’est pas forcément intuitif de se dire que l’on va favoriser le covoiturage, or nous le faisons en créant par exemple des parkings à proximité de nos entrées d’autoroute et en partenariat avec les collectivités territoriales dans les zones où un besoin a été identifié. Aujourd’hui, ces parkings connaissent des taux de remplissage en semaine allant entre 80% et 100% et sont principalement utilisés pour des trajets domicile-travail. Alors qu’au moment de l’apparition du covoiturage, on imaginait qu’il allait être réservé aux longs trajets, on constate qu’il représente désormais un usage ancré dans les habitudes. Il répond par ailleurs à trois objectifs fondamentaux que sont le coût des déplacements, la nécessité de faire quelque chose pour le climat et, en parallèle la convivialité des relations humaines.
Ainsi, pour résumer, il y a selon nous deux grands champs d’action : le premier c’est de faciliter la mobilité inclusive de ceux qui sont éloignés de l’emploi et pour lesquels nous proposons des aides très concrètes en partenariat avec des associations, le deuxième c’est de faciliter le covoiturage et donc de lutter contre l’autosolisme.
Le groupe SANEF a récemment rejoint le laboratoire de la Mobilité Inclusive, en quoi consiste ce partenariat ?
Le Laboratoire de la Mobilité Inclusive (LMI) est un think tank dédié à la thématique de la mobilité inclusive. Il nous parait évident que nos actions de solidarité soient facilitatrices de mobilité, et ces actions sont encore plus riches si nous les réalisons au sein d’un écosystème qui nous donne de nouvelles idées, de nouvelles approches et nourrit nos échanges avec les autres.
C’est cela que nous sommes venus chercher en intégrant le LMI : imaginer ensemble des nouvelles solutions, mais aussi influencer en faveur de la mobilité inclusive. Participer à un système qui soit dédié à cette thématique nous permet d’être utiles concrètement en enrichissant nos actions grâce aux partages d’expériences et de bonnes pratiques.
Avez-vous des exemples d’initiatives menées en faveur de la mobilité inclusive que vous soutenez ?
Nous avons lancé en ce début d’année 2022 un appel à projets qui a eu beaucoup de succès puisque 32 porteurs de projets y ont répondu. Sur les 32 projets proposés nous en avons récompensé 5 parmi lesquels un projet très original d’autoécole sociale et itinérante qui se déplace en milieu rural et va à la rencontre des demandeurs d’emploi. Une autre structure développe quant à elle des plans de mobilité durable pour les personnes en parcours d’insertion afin de les aider à se former à la conduite dans l’objectif de trouver un emploi. Nous soutenons également deux garages solidaires : le premier, dans le bassin minier propose des coûts d’entretien ou d’acquisition de véhicules à des prix très bas, le second près de Rouen proposera un service de location de véhicules électriques sans permis.
En fait il se passe sur nos territoires des initiatives très vertueuses dont on ne parle pas beaucoup, et finalement cet appel à projets nous a permis d’en découvrir certaines et d’écouter des porteurs de projets pleins d’enthousiasme et de valeurs. Leur donner un coup de pouce financier ou leur donner certains de nos véhicules peut leur permettre de démultiplier leurs actions. L’idée selon nous est que la mobilité est indispensable pour l’insertion professionnelle et que si elle peut être en plus de cela décarbonée, c’est encore mieux.
“La mobilité est indispensable pour l’insertion professionnelle et si elle peut être en plus de cela décarbonée, c’est encore mieux.”
Quelles sont selon vous les clefs pour réussir le pari d’une mobilité décarbonée et équitable ?
Elles sont multiples et doivent être complémentaires. Les décisions publiques ont un rôle fondamental à jouer, en incitant très fortement à la mobilité électrique, mais il faut aussi que les constructeurs soient en mesure de produire et livrer suffisamment de voitures et que les territoires soient suffisamment équipés en bornes de recharge rapides et disponibles. C’est un des enjeux auquel nous sommes confrontés en tant que société d’autoroute et nous travaillons à faire en sorte que toutes nos aires disposent de bornes à haute puissance pour répondre aux besoins de longues distances.
Des solutions concrètes doivent également être trouvées pour décarboner le transport de marchandises. Mais chacun a aussi un rôle à jouer en pratiquant par exemple l’écoconduite ou en adoptant plus de sobriété dans ses déplacements. Il y a donc beaucoup d’initiatives à déployer qui relèvent à la fois des décisions de la puissance publique mais aussi du comportement des usagers : les deux doivent être combinées et c’est la multiplication de toutes ces démarches qui sera en mesure de faire changer les choses.