La transition écologique des métiers de la route
La transition écologique que subit le secteur routier risque inévitablement d’impacter les métiers qui le composent. Porteuse de nouvelles opportunités mais risquant aussi de marquer l’arrêt de certains métiers, elle représente un défi de taille dont les conséquences sont encore incertaines.
Peu de temps après le vote du Parlement européen, nouvelle étape vers l’arrêt de la vente des véhicules thermiques dès 2035 – et accélérant un peu plus la pression de transformation du secteur routier – le point avec Xavier Horent, Délégué général de Mobilians.
Le parlement européen a récemment voté la fin de la vente des véhicules thermiques pour 2035. Pensez-vous que cela laisse suffisamment de temps aux métiers de la mobilité pour s’adapter ?
Ma réponse est négative sans qu’elle constitue pour autant une remise en cause des objectifs visés par cette décision. Son fondement par rapport à la protection du climat et de la santé est légitime, en revanche, il y a clairement un problème de rythme. Le calendrier imposé est en effet beaucoup trop tendu, qui plus est, dans un contexte qui est devenu très complexe et qui a lui-même radicalement changé par rapport aux premières discussions liées au Green Deal.
On demande à un secteur entier, mais aussi à l’ensemble de nos sociétés, de révolutionner totalement le rapport qu’ils ont aux solutions de mobilité individuelle en l’espace de 10 ans. L’effort est donc considérable, il est de portée historique : ce n’est pas juste une révolution, c’est une métamorphose qui est imposée.
Ce changement complet de paradigme a par ailleurs des conséquences à tous les niveaux de la société et de l’économie mais également à tous les échelons de la filière automobile et de son écosystème. Il n’est donc pas soutenable, en tout cas selon Mobilians, de s’inscrire dans cette trajectoire avec un calendrier aussi resserré.
“Ce n’est pas juste une révolution, c’est une métamorphose qui est imposée.”
Quel va être le coût de cette adaptation ?
Nous sommes un certain nombre à penser que toutes les études d’impact n’ont pas été correctement menées, ni partagées en temps utiles avec l’ensemble des parties prenantes. Il y a eu, nous semble-t-il, une forme de déséquilibre dans l’appréciation générale des répercussions qu’allait entraîner cette décision sur l’ensemble de la société et de l’économie.
Le coût des infrastructures de recharge en est un exemple et l’on constate des écarts importants entre les chiffres annoncés par la commission européenne et ceux annoncés par les acteurs de la filière. La première évoque par exemple un besoin de l’ordre de 4 millions de bornes de recharge tandis que les seconds prévoient plutôt le nombre de 7 millions, à horizon 2030, au sein de l’UE.
Par ailleurs, en France le nombre de bornes actuellement déployé est de 60 000 alors que les besoins d’ici 2030 seront plus de dix fois supérieurs. Cela pose donc à nouveau la question du rythme, mais aussi des investissements : la puissance publique va-t-elle être en capacité de déployer en moins de dix ans autant de bornes de recharge pour servir un parc qui va complètement se transformer ?
Cette décision implique donc des efforts considérables en matière d’accompagnement global, que ce soit du point de vue des infrastructures au sens large, mais aussi de la conversion des usines sur le plan industriel, des réseaux commerciaux et de réparation, et puis, bien entendu, des clients finaux qui seront confrontés à des voitures 50% plus chères que leurs équivalentes thermiques.
La transition écologique risque inéluctablement d’impacter certains métiers spécifiques, quels vont être les postes et les filières les plus touchés ?
Des activités entières risquent de disparaître et le secteur de la fonderie en est l’exemple le plus avancé : pour produire un véhicule thermique classique il faut compter environ 130 kilogrammes de fonte, ce volume passe à 35 kilogrammes pour un véhicule électrique. Mais en parallèle, d’autres activités vont se créer, c’est le propre de toutes les transitions.
La question est donc surtout de savoir comment cette transition va être organisée et maîtrisée, d’un point de vue social d’abord, mais aussi du point de vue de l’accompagnement des salariés dans leur formation et l’acquisition de nouvelles compétences. En parallèle, et c’est là une question fondamentale, comment va-t-on conserver, en particulier sur le sol français, le maximum de valeur ajoutée dans le cadre de cette transformation ?
Tout cela se maîtrise et s’anticipe, il faut réunir toutes les conditions qui permettent à la France et à l’Europe de réussir cette transition : si on la rate, les conséquences seront irréversibles car un certain nombre de métiers, de compétences, d’entreprises auront disparu.
Pensez-vous que cette transformation va maintenir le secteur dans un état d’excellence similaire à celui qu’il a pu connaître ?
Pour le moment, et malheureusement, on sait que dans un premier temps, les disparitions de postes risquent d’être massives pour certains secteurs. On considère que 100 000 postes seront impactés d’ici 2030 du côté de l’industrie automobile et 70 000 au niveau du commerce de la réparation et des services de l’automobile, c’est considérable.
Toute la difficulté va donc être de maîtriser le plus possible les conséquences de cette transformation en mettant en place un calendrier qui nous permette de réunir toutes les conditions pour pouvoir organiser au mieux ces changements, d’un point de vue social d’abord, mais aussi du point de vue de la place de la France dans les nouveaux métiers et les nouvelles activités que cette transition va générer.
Pour le moment, il est donc très difficile d’anticiper la réponse à cette question, c’est encore beaucoup trop tôt. Nous sommes en train de réinventer une industrie et c’est en marchant, ou plus exactement en roulant, que l’on va s’apercevoir qu’un certain nombre de questions ne sont pas correctement adressées.
La problématique qui est commune à toute la filière est celle d’un manque de lisibilité et de prévisibilité. Nous sommes actuellement dans une gestion très court-termiste de cette transition et il y a une vraie difficulté collective à se projeter au-delà de 2025. C’est un véritable défi qui est lancé à une filière qui doit complètement se réinventer sur ses modèles économiques et sociaux traditionnels.
Plus largement, quelles sont selon vous les clefs pour que les métiers de la mobilité réussissent leur transition écologique ?
Trois clefs sont selon moi nécessaires pour réussir cette transition écologique. La première relève de la capacité à innover et donc à avoir des marges de manœuvres suffisantes pour pouvoir le faire.
La deuxième est liée à la compétitivité et à la réindustrialisation du pays. Si cette transition a lieu avec une nouvelle étape de désindustrialisation, cela risque d’avoir des conséquences tragiques. Il faut donc utiliser la transformation qui est en œuvre comme un levier potentiel de réindustrialisation du pays. Rendre l’environnement dans lequel opèrent toutes nos entreprises plus favorable, en particulier sur le plan fiscal, est essentiel.
La troisième clef, qui est peut-être l’une des plus importantes, est relative à la compétence. L’enjeu est de conserver les compétences les plus élevées et diversifiées possibles de façon à pouvoir organiser leur mutation et leur diversification.
Le parc roulant ne va pas se transformer d’un coup de baguette magique : des compétences liées aux véhicules thermiques doivent donc être maintenues, mais elles doivent aussi permettre d’adresser un parc qui va être extrêmement technologique et connecté. L’éventail des compétences va donc devoir s’élargir en parallèle.
“C’est un véritable défi qui est lancé à une filière qui doit complètement se réinventer sur ses modèles économiques et sociaux traditionnels.”